Le Ciel - Bulletin de la Société Astronomique de Liège Volume 62 (Septembre 2000), p.199
En 1983 déjà, et en 1993, ont eu lieu à Liège deux Colloques Internationaux d'Astrophysique, sur le thème des lentilles gravitationnelles. C'est dire que plusieurs chercheurs de notre Institut sont particulièrement actifs dans ce domaine depuis de nombreuses années.
Nous présentons ici, en version française, un premier extrait des documents disponibles sur Internet, à l'adresse
https://vela.astro.uliege.be/grav_lens/
Ces pages ont été rédigées par Jean Surdej et son épouse, Anna Pospieszalska-Surdej, en collaboration avec un pionnier de ces recherches, Sjur Refsdal de l'observatoire de Hambourg. La version intégrale, en anglais, est intitulée « Didactical experiments on gravitational lensing » et est destinée aux étudiants et aux chercheurs intéressés par le sujet.
Les mirages atmosphériques peuvent déformer de manière significative notre vision des objets terrestres distants; ce phénomène est dû aux variations de l'indice de réfraction des couches d'air situées juste au-dessus du sol. D'une manière analogue, les phénomènes de mirages gravitationnels perturbent notre vision de l'univers lointain, et affectent notre compréhension de la physique de diverses catégories d'objets extragalactiques.
Après avoir rappelé les principes qui sont à la base des mirages atmosphériques et gravitationnels, nous décrirons une expérience d'optique simple, qui peut rendre compte de tous les types de configurations d'images observés jusqu'à présent dans les systèmes de lentilles gravitationnelles. Envisageons d'abord le cas le mieux connu de tous, celui des mirages atmosphériques.
Figure 1:Propagation des rayons lumineux au-dessus d'un sol surchauffé, entre une voiture distante et un observateur (à gauche), et formation d'images multiples dues à un mirage atmosphérique (à droite).
Une représentation schématique des chemins suivis par les rayons lumineux, émis par une voiture distante, est donnée dans la figure 1 (à gauche). L'air au ras du sol est plus chaud que celui situé à des niveaux supérieurs, et la réfraction entraîne toujours une courbure des rayons lumineux vers les régions les plus froides et donc les plus denses. Dès lors, plusieurs images, quelque peu déformées, peuvent être observées en bas de l'image principale, à partir de cette source distante. La figure 1, à droite, montre les images multiples des phares d'une voiture située à environ 16 km de l'observateur. Cette photo a été prise dans la nuit du 11 janvier 1989, à l'aide d'un appareil de 200 mm de distance focale, le long de la route reliant les villes de Magdalena et Datil, près du grand télescope VLA (Very Large Array). Celui-ci appartient au NRAO (National Radio Astronomical Observatory) situé à Socorro, au Nouveau Mexique (USA).
Figure 2: Propagation des rayons lumineux au-dessus d'un sol surchauffé (à gauche) et formation de deux images (l'une directe, l'autre inversée) d'une voiture distante, suite à un mirage atmosphérique (à droite).
De tels mirages terrestres, habituellement constitués de deux images simples (Figure 2 à gauche), peuvent en fait être observés quasi quotidiennement. On vient de voir que ce phénomène peut affecter de manière significative notre vision des sources terrestres, en gardant les détails de l'image mais en la déformant et en la multipliant. Mais en plus, le mirage atmosphérique provoque fréquemment une amplification de la lumière reçue à partir d'objets lointains dont on ne distingue plus les détails. Ce fut le cas, par exemple, quand nous avons regardé à l'oeil nu le mirage atmosphérique illustré en Figure 1. Les phares de la voiture apparaissent alors comme consistant en un spot très brillant ... anormalement brillant pour une voiture située à quelque 16 km de nous.
La Figure 2 montre les observations faites par les auteurs le long d'une longue ligne droite, sur la grand route baptisée North Panamerican, entre les villes de Pichidangui et La Serena au Chili, le 2 décembre 1987. On voit nettement une image plus basse, inversée et quelque peu déformée de la voiture lointaine.
Des exemples similaires sont observables sur une plaine très étendue. Les Figures 3 et 4 correspondent à deux vues différentes de diverses antennes individuelles du grand télescope VLA. Les photos ont été prises très tôt le matin, le 17 janvier 1989, quand l'air chauffé par le soleil levant était plus chaud que le sol, ce qui entraîne soit une déformation des images, comme sur la Figure 3, soit la formation de mirages avec images supérieures, comme celle que l'on voit nettement sur l'image de droite de la Figure 4.
Figure 3: Images déformées des antennes du VLA, situées sur le bras nord-sud, prises tôt le matin du 17 janvier 1989.
Figure 4:Images déformées et multipliées de quelques antennes du VLA, prises le 17 janvier 1989. A noter l'image supérieure, nettement détachée de l'antenne de droite.
La déformation et/ou la multiplication des images peut s'expliquer à partir d'un modèle simple, en se donnant une loi n(z) pour la valeur de l'indice de réfraction n en fonction de la hauteur z , comme représenté sur la partie gauche de la Figure 5. Sur la partie droite du graphique, on a dessiné la trajectoire du rayon partant d'un des points de l'antenne et aboutissant à l'oeil de l'observateur, dans le cas où l'air est plus chaud près du sol. L'angle i entre la tangente à la trajectoire et la direction horizontale est représenté ici pour l'instant de départ du rayon.
Figure 5: Formation de mirages atmosphériques à travers une atmosphère caractérisée par un indice de réfraction variable avec l'altitude
En appliquant la loi de Descartes dans le cas d'un milieu d'indice de réfraction variable n(z), on calculera numériquement la loi de variation i(x) donnant l'inclinaison de la tangente en tous les points de la trajectoire du rayon lumineux. On pourra ainsi déterminer le chemin suivi pour chaque rayon lumineux issu de l'antenne. Dans certaines circonstances, dépendant de la loi n(z) et de la distance de la source, on trouvera que plusieurs trajectoires sont possibles entre l'antenne et l'observateur, ce qui permet la formation d'images multiples.
Une description plus détaillée de cette méthode peut être trouvée sur le site Web indiqué en préambule de cet article. Il s'agit de l'exercice 1, intitulé « Physical description of atmospheric lensing », préparé à l'intention des étudiants utilisant le langage de programmation Basic ou Fortran, et qui veulent effectuer des simulations numériques du phénomène.
On mentionnera deux autres résultats importants obtenus par cette méthode:
* Dans le cas d'images multiples d'un même point source, un délai temporel peut apparaître entre les diverses trajectoires, d'une part à cause de la différence des longueurs parcourues, et d'autre part parce que la vitesse de la lumière varie en fonction de l'indice de réfraction suivant la loi v=c/n(z).
* Le mirage atmosphérique peut fournir des images dont la surface apparente est supérieure à celle observée directement sur la source, en l'absence de mirage. On montre que l'intensité spécifique, autrement dit la quantité de lumière par unité de surface, est conservée quand les images sont déformées. On en déduit que, pour des images agrandies par effet mirage, une amplification de la quantité de lumière est mise en évidence.
Dans le cas des mirages gravitationnels, dont la cause est radicalement différente de celle des mirages terrestres, on retrouvera néanmoins l'ensemble des propriétés qui viennent d'être décrites.